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Dessin et Méthode, entretien (extraits)

G : Tu as défini une méthode et sembles t’y tenir. Qui plus est dans une technique assez " traditionnelle" : celle du dessin. Est-ce une manière d’affirmer le dessin comme une permanence, de pouvoir poursuivre ton travail indépendamment des modes ? Essaies-tu de redéfinir les conditions du dessin ?


S : J’ai trouvé dans la pratique du dessin quelque chose d’irréductible. Je pense que, s’il ne devait plus rien rester, quelque chose permettrait encore de dessiner, ne fût-ce qu’au doigt, dans le sable ou dans les cendres. Il n’y a pas de dispositif minimum requis pour produire un dessin, autre que l’intention et la détermination à vouloir dessiner, à partir de quoi il sera toujours possible de trouver quelque chose qui fasse l’affaire. Parler avec les mains c’est une façon de dessiner ce que l’on a à dire.

Mes dessins sont leur propre finalité, ils ne sont ni la préparation, ni l’étude, ni l’illustration d’autre chose.

Je suis attaché à une méthode, j’y tiens et je m’y tiens. Je considère qu’il s’agit d’un travail et j’y vois les conditions nécessaires à la création d’un espace de liberté.

Par ailleurs, si je pense qu’il n’y a pas d’art sans Histoire, je dois aussi l’assumer et structurer mon activité afin qu’elle puisse fournir des répliques tangibles à la problématique du dessin et du dessin contemporain.

J’indique ici la nature du contrat qui me lie à mon travail : il ne s’agit pas simplement de produire, d'accumuler des anecdotes et de trouver ce qu’il y a de pertinent dans une proposition plastique. En l’occurrence, ma méthode tient en quelques mots : « dessiner les yeux fermés » et la question est de savoir ce que cela permet.


autoportrait décisionnel

G : L'endurance d'une méthode permet de la redécouvrir sans cesse et de ne jamais l’épuiser ?


S : La fidélité est une valeur et elle a un prix. Elle permet de découvrir des choses merveilleuses à l’intérieur d’un champ dont on ne peut sortir, sauf par la trahison. Ainsi, s’en tenir à une méthode ou explorer une voie, c’est renoncer à quantité d’autres parcours et cela contient la possibilité de s’être fourvoyé.


G : La rigueur de la méthode laisse tout de même une grande souplesse et une réactivité de tes dessins dans leurs contenus.


S : Les formes de représentations possibles et induites par ma méthode sont en effet assez diversifiées.

[...]


G : As-tu déjà envisagé d'exécuter tes dessins en te passant de son commentaire?


S : Il n’est pas faux de penser qu’écrire au pied de mon dessin me permette de faire l’économie du cartel. Le dessin m'autorise à écrire, me donne cette excuse. Je ne dissocie pas l'écriture du dessin car ce dernier ne peut se réaliser sans une proposition verbale. Il n'y a pas de hiérarchie entre l'un et l'autre.

Le dessin exécuté au feutre noir et l'écriture au feutre rouge définissent une identité graphique qui rend reconnaissable un dessin de Sylvain Sorgato au premier coup d'œil. A la façon d’une signature, le court texte que j’inscris au pied du dessin me permet d’indiquer qu’une étape dans sa vie de dessin est accomplie.


G : La rapidité d’exécution est visible dans le trait comme dans l'écriture.

Quelle place tient le rythme, le tempo dans l’exécution de ton travail ?


S : La rapidité est une conséquence de ma méthode d'exécution : elle convoque la mémoire et donc une courte temporalité. La mobilité de la situation dans laquelle je dessine, souvent dans les transports en commun, et à peu près n'importe où, participe aussi à cette fugacité.


G : J'ai l'impression qu'un intérêt ou qu'une idée créent des trajectoires mentales et t'orientent vers une image que tu vas tenter de dessiner. La question de la représentation est-elle aléatoire ?


S : En tout cas l'image n'est pas statique. Dessiner les yeux fermés permet cette ouverture. En dessinant ainsi, tu ne peux pas obtenir un mauvais dessin, ils seront toujours valable, sauf si tu y renonces.

[...]


G : Yona Friedman a remarqué qu'à l'inverse du format du livre qui s'adresse à un seul lecteur, celui de l'affiche peut s'adresser à plusieurs personnes à la fois, ce qui en fait un médium plus populaire. Tu parlais du code couleur que tu as crée dans tes dessins et qui permet au public de reconnaître ton travail. Réfléchis-tu à l'efficacité de lecture de tes dessins, à son accès ?


S : Je ne cherche pas à faire spontanément un travail qui soit populaire. Je suis par contre attentif à ce qu'il soit accessible. Il y a d'une part une première étape de visibilité par le public grâce aux codes de couleurs. Le choix de n'avoir gardé que la méthode en m'affranchissant de la doxa permet d'autre part de produire un travail accessible à un public large. Enfin, je n'ai aucun droit ni exclusivité sur le fait de dessiner les yeux fermés. Tout le monde peut le faire s'il le souhaite.

Lorsque tu parles d'efficacité, j'essaye il est vrai d’avoir le maximum de formes avec le minimum de moyens. Tu retrouveras toujours au minimum dans mes dessins un lacet et deux phonèmes qui formuleront une image que chacun peut s'approprier.


G : Les dessins peuvent exister en plusieurs versions ?


S : Oui et le fait de choisir à chaque fois de leurs formes physiques les rendent malléables. Cela définit un usage possible de mes dessins que j'indique à l'acquéreur qui le reçoit sous fichier numérique. À lui de choisir de son format, de sa forme ou du nombre d'exemplaires. L'activité artistique est ainsi partagée entre l'auteur et l'amateur, et cette notion m'intéresse particulièrement.

[...]


G : tu as crée un compte facebook (les dessins de Sylvain), c’est un moyen de diffusion supplémentaire à l'exposition.?


S : La nature numérique de mes dessins m’a amené à les diffuser sur internet. Facebook est un outil très intéressant pour diffuser rapidement des dessins réactifs à un contexte donné. En 2010 j'ai diffusé plus de 700 dessins constituant une sorte de chronique, le public s'abonnait pour recevoir " les dessins du jour ".


G : Parlons de ton rapport à la musique rock. Il y a un côté parolier dans ton écriture et l'usage de la langue anglaise, de sa sonorité, renforce cette impression.


S : L'usage de l'anglais était d’abord intuitif. En y réfléchissant j'ai remarqué la liberté qu'offre cette langue, en particulier le broken English comme le dit Marianne Faithfull. Cet Anglais peut être manipulé dans tous les sens, il en sortira toujours quelque chose d'intéressant et d'inventif. Le broken English, compris du Texas au Pakistan, n'appartient à aucune académie, c'est un vrai territoire de liberté. C'est ce que je retrouve également dans le rock, et celui des années 70 m'a profondément marqué, que ce soit les Rolling Stones ou les Pink Floyd. Le rock a cette capacité de venir râper le système économique et marchand. Il a ce pouvoir de frappe direct qui m'intéresse car il est l’expression de la liberté individuelle.



autoportrait à la grosse faute d'Anglais

G : Ce style direct ressort dans ton écriture et dans ton trait qui est assez sec et anguleux. J'ai également remarqué que tu fais fréquemment usage de la tournure négative. Le no se retrouve souvent en début de phrase et il semble marquer une résistance.


S : Certains de mes dessins s’en prennent directement à la classe politique ou au marché de l'art. Il m'importe de ne pas être détaché du réel mais d’ être réactif.


G : Cette réactivité au contexte, à l'espace de monstration, est également palpable dans les choix d'accrochage que tu opères. J'y vois une certaine rigueur car les dessins de même format, exécutés avec le même feutre et sur le même papier, sont disposés en ligne. Il semble en tout cas qu'ils soient régis par une règle générale d'accrochage, est-ce le cas?


S : Dessinant les yeux fermés, je sais ce que je veux, mais je ne sais pas ce que je vais obtenir. Je souhaitais donc que mes accrochages soient également le résultat d'une combinaison aléatoire proche de ma pratique du dessin. Ainsi à chaque montage, je me base sur la réalité de l'espace d'exposition. Je décide d'un point central à partir duquel je trace une pente à 10° puis des points en quinconce. Mes repères faits, je peux accrocher mes dessins qui se déploient dans tout l'espace selon ce système et non selon l'usage habituel du lieu. Des dessins peuvent alors se retrouver accrochés sur la plinthe ou très haut sur le mur. Cet accrochage construit une sorte de constellation sans hiérarchie qui permet de présenter des centaines de dessins en une seule exposition. Il laisse également au visiteur la liberté de construire son propre parcours sans le sentiment de devoir suivre un sens de lecture. A lui de s'approprier l'espace, de faire des choix, et nous revenons ainsi à cette idée de participation ouverte et libre qui est essentielle dans mon travail.

[...]


vue d'exposition, accrochage de dessins

G : La rigueur et l'ordre sont clairement assumés dans ta méthode de travail. Cependant le choix de tes cadres est des plus extravagants et hétéroclite. Nous nous retrouvons devant une diversité incroyable de couleurs et de styles, du simple cadre noir au baroque argenté.


S : J'ai besoin d'ordre pour avoir un peu de désordre. Et malgré ma méthode qui semble monotone, je considère la diversité pour de la richesse. Depuis que j'exécute mes dessins à la tablette graphique, leurs formes ne sont plus arrêtées. Je n'ai donc aucune raison d'uniformiser leurs encadrements. Je suis, comme dans la forme de mes dessins, à la recherche de toutes les possibilités que m'offre le cadre.


G : Pourquoi être sorti du format carnet pour adapter tes dessins à un espace architectural (comme tu l'as fait dernièrement pour ton exposition Success can wait à l’automne 2010 )?


S : Je commence par dessiner dans des carnets parce que j’ai commencé par dessiner sur du papier. Le carnet a cet intérêt d’être au format poche et il me permet de dessiner dans la " marge ». Par "  marge "  j’entends l’espace et le temps qui séparent le domicile du lieu de travail. C’est comme ça que je me suis remis en somme à dessiner, dans les transports en commun, dans ce moment qui sépare la sphère du social de celle du privé.

Ce qui me manquait c’était de pouvoir introduire la couleur, jusqu’à ce que je trouve une tablette graphique, qui me permette de changer de couleur et de colorer des zones ou des fonds sans avoir à changer d’outil. C’est en m’intéressant d'abord à la tablette graphique pour l'usage de la couleur que j'ai découvert les autres possibilités que m'offrait le dessin numérique. Le format original étant un fichier jpeg, c'est un enregistrement qui réclame une chaîne de décisions pour trouver son point de réalisation dans la chaîne graphique.


cahier de dessins originaux

G : J'imagine que les possibilités sont infinies.


S : La forme l'est en tout cas. Son champ d'application à différents supports est très varié. Certains de mes dessins ont été reproduits en broderie, en sérigraphie émaillée, ou imprimés... La forme choisie est pertinente selon le contexte de l'exposition ou sa place dans une collection.


G : C'est ainsi que tu as conçu ton exposition rue de Charenton ?


S : Pour cette exposition, les dessins sont à la mesure de l'espace puisque je les ai agrandis à hauteur d'étage, ils tiennent compte du contexte dans lequel il apparaît.


G : L'accrochage complète ainsi ta position d'artiste et le public se retrouve devant une proposition totale. J'imagine que c'est aussi le cas pour ton exposition au VOG Fontaine?


S : L'exposition au VOG Fontaine est, comme les précédentes, le reflet des préoccupations à l'œuvre dans mon travail. Les expositions créent pour moi des situations de travail essentielles à l'élaboration d'une proposition contextuelle. Pour cette exposition, les dessins sont montrés en trois parties développées sur l'ensemble de l'espace. Les dessins sont reproduits avec des techniques différentes et tendent vers le moins de matérialité possible. Certains sont agrandis et reproduits directement sur le mur au feutre, et d’autres sont réalisés sur des films acétate tandis que d'autres encore peints à l'acrylique fluorescente, sont luminescents.



exposition de dessins muraux


Illustrations :

Sylvain Sorgato

What I want it to be, 2009

encre numérique, dimensions variables


I are Here, 2008

encre numérique, dimensions variables


Myself as the sweetest boy

vue de l'accrochage de l'exposition, galerie Alain Gutharc, Paris, 1993


Looking for troubles?, 2010

carnet de 96 dessins originaux, 24,9 x 19,2 cm

collection privée


This ain't no joke

vue de l'accrochage de l'exposition, VOG, Fontaine, 2011

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