je peux l’attester, il a dormi chez moi.
Les artistes ne sont pas toujours comme dans les images d’Épinal rock’n roll des gens hagards, tenant des propos hors contexte, mangeant salement, et affichant un mépris souverain pour tout ce qui est usage, avant, dans un moment d’illumination créatrice, d’emmerder tout le monde parce qu’ils sont subitement possédés par leur vision.
Non, Sorgato construit son œuvre aux horaires de bureau, fait ses nuits et mène une vie familiale sans tumulte qui désespérerait les paparazzi, à supposer qu’ils s’intéressent à l’art contemporain .
Sylvain Sorgato parle avec précaution de son métier. Il cherche ses mots.
Parce qu’il veut les trouver. Il n’est pas homme à se laisser berner par une phrase approximative.
Et puis son travail repose sur une parole donnée.
Sorgato dessine les yeux fermés, c’est sa manière de tenir une promesse, celle de bien voir.
Fermez les yeux et voyez. Voyez un monde traversé de slogans, de directives, de baseline, de conseils d’utilisation, de mises en garde. Sur les paquets de cigarettes, sur les affiches, les écrans, les panneaux, partout des phrases tellement visibles qu’elle en deviennent subliminales.
Sylvain pense en anglais et dessine les yeux fermés en français.
Le garçon je l’ai dit est sérieux, mais c’est une façade, celle du professionnel. Dedans il y a un grand satrape rieur qui ouvre toutes les fenêtres pour aérer.
Quand on entre dans ses expositions on est frappé par cette multitude de cadres criblant les murs comme autant d’issues par où surgirait la lumière. Après cette vision globale à la fois sereine et mathématique, on va chercher les histoires en picorant d’un cadre à l’autre, en musardant au hasard. Mais comme toujours dans l’expression artistique le hasard n’y est pour rien.
Il n’y a pas de destination dans une exposition de Sylvain Sorgato, pas plus qu’il n’y a de point d’arrêt ou d’étapes. Il y a une destinée, et donc une forme de magie noire. Car chaque visiteur est choisi par un tableau : celui qui lui parle, celui qui lui ressemble, celui qui livre son rébus intérieur.
Les gens qui repartent avec un tableau sous le bras ont subi le choc d’une phrase suspendue associée à une image chaotique. L’alchimie des deux a produit une diapositive dans leur album personnel.
Parler à tout le monde et convaincre chacun, il faut être sorcier autant qu’artiste.
Texte rédigé à l'occasion de l'exposition Where did Punk-Rock go? Empires, Ajaccio, 2009
illustrations :
Sylvain Sorgato
Napoléon Bellucci, 2009
encre numérique et photomontage, dimensions variables
collection privée
Jean-Joseph Renucci
Public visitant l'exposition Where did Punk-Rock go?
Empires, Ajaccio, été 2009
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