Dès que l’humour, manifeste, des dessins de Sylvain Sorgato a fait son œuvre, il devient très difficile, et peut-être devrait-on y renoncer, d’écrire quelque sentence définitive et bien sentie à son propos (d’artiste). Le sens cultivé de la dérision arme en effet la subversion ultime, qui désamorce tout discours – fût-il critique – et perturbe durablement toute saisie esthétique.
Si l’on passe outre cette mise en garde, ou pour qui se refuserait de se laisser ainsi désarmer – car l’humour est aussi une stratégie bien sûr –, on ne peut manquer d’être frappé par l’entreprise éminemment égotiste de Sylvain Sorgato, entreprise qui s’inscrit totalement dans le glissement opéré, dans le champ de la constitution de la valeur artistique, de l’œuvre à la figure de l’artiste ; l’art devenant ainsi par définition tout ce que produit quelqu’un qui se présente comme artiste et est reconnu comme tel par ses pairs, ou par d’autres acteurs autorisés du monde de l’art. Sylvain Sorgato travaille précisément, et avec acuité, dans cet ordre du discours et de la représentation où souvent se confondent le souci de soi et le souci du style.
Ce qui sauve toutefois l’entreprise du solipsisme, outre l’auto-dérision qui pourrait après tout n’être que la politesse de l’artiste à l’égard du regardeur, c’est l’effet de distance introduit par le recours à des techniques maïeutiques de type automatiste (dessins réalisés ç l’aveugle, refus des « remords » et au contraire, soin scrupuleux apporté à préserver et à exploiter les transferts bruts), qui redouble l’effet de décalage, de rupture, de décollage et de fragmentation des figures infiniment démultipliées en situation – matrice conceptuelle du travail que ces mises en scène de soi (Myself as) légendées en « international monkey english » – effet assuré de toute manière déjà par le dispositif sériel.
Le personnage, mais en est-ce bien un ?, de Sylvain Sorgato nous convie alors à assister à la consommation effrénée qu’il fait des signes, marchandise culturelle, biens symboliques, bien sûr, mais aussi imagerie politique et médiatique, clichés de tous ordres, y compris intimes, avec une ostentation jubilatoire et parfois désopilante qui fait qu’on aurait mauvaise grâce à refuser cette invitation.
texte rédigé à l'occasion de la publication du recueil de dessins Daniel's Choice, à Bruxelles, en novembre 1992.
illustration :
Sylvain Sorgato
Myself as curly, 1991
marqueur sur papier layout 80 grammes
21 x 29,7
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