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SYLVAIN SORGATO
30 ans de Montages (1/3)

Les lignes suivantes reproduisent le conducteur d'une conférence qui présente mon parcours comme technicien au service de l'art contemporain.

L'Exposition

L’exposé présente les rôles et les responsabilités des personnels techniques  qui servent les œuvres et les expositions. 
J' y parle de ceux qui fabriquent, construisent, réalisent les expositions au  service des artistes et des commissaires d’exposition.
Pour ce faire, je m'appuie s’appuie sur ce qu’a pu être mon service aux œuvres et aux  expositions depuis 1988.

Si j’ai fait et si je fais encore ce travail de monteur, d’assistant ou de régisseur pour  l’art contemporain, c’est en premier lieu parce que l’art m’intéresse. Et la meilleure  façon que j’ai trouvé de m’intéresser à l’art c’est de me tenir au plus près de l’acte  artistique.
La technique m’intéresse uniquement comme un instrument au service au projets. 
Mon travail consiste à proposer une ou plusieurs réponses techniques pertinentes à  une intention énoncée, à un projet déclaré.
Il m’est donc indispensable qu’il y ait un auteur, qu’il s’agisse des œuvres ou de l’exposition, d’un artiste ou d’un commissaire, faute de quoi il me semble difficile de  parler à priori d’art et à fortiori d’oeuvres.

 

J’ai pu participer depuis 1988 au montage d’un certain nombre d’expositions et à la  réalisation d’un certain nombre d’œuvres, et cela m’a permis de construire un point  de vue singulier sur l’activité artistique telle qu’elle se développe depuis le milieu  des années quatrevingt en France.


Je tiens l’exposition pour un mode d’expression spécifique, employant un vocabulaire spécifique. 
L’art de l’exposition est celui de la disposition d’un certain nombre d’objets dans un  espace afin de produire une expérience singulière de l’expression du sens.

I - L'exposition

Fred Sandback, Four Parts Construction.jpg

Fred Sandback (1943-2003)

Four Parts Construction

installation en cours, 2011, collection privée

La sélection, personnelle, des expositions citées ici, vaut pour ce qu’à mon sens elles  peuvent indiquer de l’histoire récente des expositions de l’art contemporain.
J’ai eu le privilège de servir les expositions suivies d’une astérisque.

sept expositions remarquables : 

  • When attitudes become form : live in your head, Bâle 1969

  • Chambres d'amis, Gand, 1986

  • Les magiciens de la terre, Paris, 1989

  • Konstrukcja w procesie, Łódź, 1990*

  • No man's time, Nice, 1991*

  • Passions privées, Paris 1995*

  • L'intime, le collectionneur derrière la porte, Paris, 2004

When attitudes...

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Harald Szeeman (1933-2005) devant la Kunsthalle de Berne, Suisse en mars 1969
photo : Balthazar Burckhardt

Figure emblématique et persistante du commissaire d’expositions de l’art  contemporain, on doit à Harald Szeeman la plupart des modèles d’exposition d’art  contemporain en vigueur aujourd’hui, ainsi que l’ouverture à des thèmes encore en  usage.

... become form, live in your head

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Joseph Beuys installant Fettecke en mars 1969
photo : Balthazar Burckhardt

Harald Szeeman établit notamment  que l’espace d’exposition puisse être envisagé  comme une continuité de l’atelier.
Avant d’être le lieu de la contemplation, la salle d’exposition peut être un lieu de  travail.
Les expositions sont une occasion de travail pour les artistes, qui leur permettent de  réaliser des œuvres spécifiques et ponctuelles.
Cette approche se distingue d’une autre qui voudrait produire le rassemblement  thématique d’œuvres existantes.

Chambres d'amis (recto)

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Daniel Buren
Le Décor et son double, 1986
papier peint à rayures blanches et fuschia, dimensions variables
exposition : Chambres d’amis, domicile d’Annick et Anton Herbert, Gand, Belgique; commissaire : Jan Hoet

Jan Hoet sort l’exposition des lieux qui lui sont traditionnellement dédiés. 
Pour Chambres d’Amis , il installe les œuvres dans des environnements « réels », puis  leur double dans des lieux de présentation traditionnels des œuvres.

Chambres d'amis (verso)

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Daniel Buren
Le Décor et son double, 1986
papier peint à rayures verticales blanches et fuschia, dimensions variables
exposition : Chambres d’amis, S.M.A.K., Gand, Belgique; commissaire : Jan Hoet

L’exposition muséale était le calque de la situation produite dans l’habitation. 
Comme un rappel de la citation due à Robert Filliou qui disait : l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art  (1973). 
L’art, en tant que vécu, compte au moins autant que l’art en tant que production  officiellement artistique.
Jan Hoet affirme le lieu d’exposition comme celui de la représentation, entretenant  une ambigüité avec le réel.

Les magiciens de la terre

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Richard Long : Red earth circle, 1989
Collectif : Yam Dreaming, 1989 (au sol) 
Esther Mahlangu : (titre et date inconnus)
Grande Halle de la Vilette et centre Georges Pompidou, Paris, été 1989; commissaire : Jean-Hubert Martin

Jean-Hubert Martin élargit encore le cadre de ce qui est acceptable comme art. 
Jean-Hubert Martin entretient une sensibilité particulière de l’époque en puisant  dans ce que l’on nommait le « World Art » qu’il fait voisiner avec des références de  l’art contemporain.
L’exposition panache des formes exotiques entre elles pour réintroduire de  l’émerveillement dans des espaces que les années soixante-dix et quatrevingt  avaient considérablement »refroidi ».

Konstrukcja w procesie

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Karin Sander
White Passageway, 1990
réhabilitation d’un passage existant
exposition : Contruction in Process III, Lodz, Pologne, automne 1990

Troisième édition d’une exposition en actes. 
Son énoncé précise que les artistes invités doivent réaliser sur place des œuvres  spécifiques. 
Cette contrainte est portée par le contexte particulier de ces événements qui ont eu  lieu successivement à Lodz, à Munich et à Lodz.
Contexte qui s’exprime par les pressions politiques et économiques exercées sur les  artistes concernés comme sur le commissariat général de l’exposition par le pouvoir  en place à l’époque.
L’épopée de Konstrukcja w Procesie débute pendant la guerre froide et se termine  après la chute du mur de Berlin.

No man's time

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Philippe Parreno
No More Reality, 1991
peinture acrylique sur panneaux, 180 x 200 cm
exposition : No Man’s Time, villa arson, Nice, été 1991

Cette exposition introduit une génération d’artistes qui vient succéder à celle, en  France, représentée notamment par Ange Leccia et Jean-Luc Vilmouth.
Avec cette exposition, Eric Troncy affirme un projet esthétique fondé sur une avant- garde jeuniste et « pop » qui sera développée par Nicolas Bourriaud au titre de l’Esthétique Relationelle .

(parenthèse)

Sonic Youth : Evol, SST records, 1986
Photo : Richard Kern, image extraite du film Submit to Me, 1986
Bret Easton Ellis : American Psycho, roman, première édition : Vitntage Books, New-York, 1991
Photo : Marshall Arisman

Au début des années quatrevingt-dix, l’esthétique Grunge et le narcissisme permis  par la finance succèdent au formalisme comme référents esthétiques de l’époque.
Il s’agit d’un mélange d’esthétique Punk et d’hyper-consumérisme occidental.
Kontrukcja W Procesie – No Man’s Time ont été des expositions conscientes de leur  environnement culturel, médiatique ou politique.

Passions privées

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Felice Varini
273, boulevard Pereire n°1, 1989
réactualisation 1995, collection du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, automne 1995

Alors que l’activité artistique semble dominée par les institutions mises en place par  le projet de décentralisation conduit par Jack Lang depuis le premier mandat de  François Mitterrand, cette exposition révèle en France le rôle et la place occupée par  les collections privées.

L'intime, le collectionneur derrière la porte

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Typologies

Exposition : L’intime, le collectionneur derrière la porte
la maison rouge, Paris
5 juin - 26 septembre 2004 

L’exposition inaugurale de la maison rouge installe dans le paysage de l’activité  artistique la figure du collectionneur-mécène incarnée ici par Antoine de Galbert.
L’installation, parmi les opérateurs de l’activité artistique, de cette figure de  l’autodidacte soutient une tendance visant à l’évacuation des contenus artistiques au  profit d’événements susceptibles d’attirer le public le plus large.
L’exposition dépouille sa matrice originelle des œuvres qui s’y trouvaient, pour les  replacer dans le contexte d’un événement spectaculaire (l’inauguration de la maison  rouge).

II - Typologie des oeuvres

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Peter Bruggenhout
The Blind Leading the blind #68, 2015

Après avoir campé dans le paysage quelques expositions, je vais maintenant  déployer une typologie des œuvres telles qu’on les trouve dans les expositions,  œuvres que le service technique aura à accrocher, installer, réaliser ou réactualiser.

Le statut

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Léonard de Vinci
Salvator Mundi, 1506-13
peinture à l’huile sur bois de noyer, 65,6 x 45,4 cm
450 312 500 $ (Christies, 2017); vendeur : Dmitri Rybolovlev; acheteur : Prince Mohammed bin Salman

Une œuvre c’est peut-être un objet dont le statut est reconnu par la communauté, afin de produire un symbole, un outil culturel qui puisse s’échanger comme un repère ou une idée.
Exemple : Léonard de Vinci incarne le génie et la sensibilité humaine lorsque l’occident quitte un âge barbare en produisant les raffinements de la Renaissance.
C’est peut-être le public qui décide de l’œuvre.

Dans l'espace public

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Paul McCarthy
Tree, 2014
enveloppe gonflable haubanée, hauteur : 24m
exposition FIAC Hors les Murs, Paris, 2014

On assiste, depuis le milieu des années quatrevingt-dix, à la multiplication d’installations ponctuelles d’œuvres d’art contemporaines dans l’espace public, c’est-à-dire hors des sanctuaires que peuvent être les sites d’exposition. 
Très dépendantes de la qualité de leur accompagnement, l’installation de ces œuvres peut créer des polémiques dès lors que le public ne perçoit pas le lien qui relie le commanditaire ou l’artiste à l’espace dans lequel le public reçoit l’œuvre.
Une œuvre c’est peut-être un objet dont le statut est reconnu par des spécialistes.

Dans les médias

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Ymas
Hommage au Désespéré, 2017
briques Lego et cadre à moulures dorées, 175 x 200 cm
exposition Art capital, grand Palais, Paris, février 2018

Les médias de masse se font volontiers le relais d’une activité graphique émergente au début des années 2000 et caractérisée par son acculturation. 
La pauvreté intellectuelle et artistique étant entretenue comme un gage de popularité.
Une œuvre c’est peut-être un objet dont le statut est reconnu par les médias et diffusable en masse.
L’émiettement des pratiques et des théories artistiques contemporaines (un artiste = un mouvement artistique) a conduit à une situation dans laquelle beaucoup de choses peuvent se revendiquer comme étant de l’art.
Une œuvre, c’est peut-être quelque chose de coloré dans un cadre doré et devant lequel se tient un personnage mélancolique.

Dessin

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Noé Nadaud
Françoise B. réalisant le dessin mural n°90 de Sol LeWitt, 2011
le Silo, Marines

Dernier rejeton de la panoplie des objets fournis par l’art contemporain; le dessin se présente au début des années 2000 comme l’opportunité d’un marché accessible susceptible de suivre l’évolution financière qui est celle de son aînée : la photographie.
En dehors de l’estampe, le dessin n’existe guère que comme document jusqu’au début des années 2000.
Le dessin se pratique dans une version éphémère, murale, ou dans une version qui fait la fortune des encadreurs.

(L'art conceptuel 1/2)

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Sol LeWitt (1928-2007)
Certificat et croquis pour le Dessin mural numéro 36, 1970
collection du S.M.A.K., Gand, Belgique

Je prends volontiers l’art conceptuel comme la source de propositions que l’on est libres de choisir puis de réaliser. 
L’art conceptuel propose des œuvres à prendre comme des recettes ou des partitions demandant ensuite à être réalisées.
L’œuvre de Sol Lewitt contient un corpus très important de dessins et de peintures murales réalisables à partir de leurs énoncés.

(L'art conceptuel 2/2)

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Laszlo Moholy-Nagy
EM2 (Telephone Picture), 1923
collection du MOMA, New-York

L’antériorité de ce protocole est à trouver dans les « Tableaux par téléphone de Laszlo Moholy-Nagy.
C’est le même schéma que l’on retrouve dans les cahiers des charges ou dans les notes d’intentions rédigées par les artistes à la veille de leurs expositions et que le site d’exposition s’engage à réaliser.

In-situ

Felice Varini
Cinq cercles concentriques, noir, 1993
Exposition : F.V., Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, 1993
Collection privée

Une œuvre dite In Situ est une œuvre qui, tributaire de l’architecture du site d’exposition, ne pourrait être réalisée ailleurs que là où on la trouve.
Le travail de Felice Varini est sans doute un très bon exemple de cette doxa.
L’atelier de l’artiste tient davantage du bureau et de l’agence que de la fabrique, et les espaces d’exposition sont ceux dans lesquels l’artiste réalise ses œuvres.
In-Situ est le symétrique de l’atelier, qu’il transforme en agence.

L'atelier

L’équipe Veilhan

telle que présentée sur le site veilhan.com en 2016 puis en 2023

L’atelier de l’artiste, tel que le définit Xavier Veilhan, est une petite entreprise réunissant un certain nombre de salariés. 
Il ne s’agit pas d’une Factory dans laquelle le spectacle serait permanent, mais d’une agence constituée à des fins de production réunissant un certain nombre de collaborateurs spécialisés.

Installation (1/3)

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Luc Deleu
Sans titre, 1989
installation de 36 containers en plastique, 350 x 720 x 1300 cm chaque
Exposition : Pas à côté pas n'importe où 4, villa Arson, Nice

L’installation est une cousine de la sculpture en ce qu’elle concerne le déploiement d’objets dans un espace.
Les installations empruntent à l’art conceptuel en ce qu’elles sont (souvent) soumises au régime de la réactualisation.
Réactualiser signifie mettre à jour et adapter. Cela concerne l’intégration dans les espaces mais aussi l’attention portée sur l’obsolescence des accessoires utilisés.

Installation (2/3)

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Patrick van Caeckenbergh
le Paravent, 1993
technique mixte, 243 x 742 x 493 cm, collection FRAC Provence-Alpes-Côte-d'Azur

Jouant des frontières entre les registres plastiques; l’installation peut être le décor d’une performance.
Si l’installation est le déploiement d’un certain nombre d’accessoires dans un espace; il requiert, au titre de sa conservation, d’être très précisément documenté et renseigné, afin que l’installation puisse être réactualisée et transmise.
On peut distinguer deux types d’installations : celles qui se présentent comme un arrangement d’éléments dont on fait le tour; et celles à l’intérieur desquelles on circule et que l’on appellera immersives.

Installation (3/3)

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Gerda Steiner et Georg Lenznlinger
Méta-Jardin, 2005
technique mixte, dimensions variables
exposition à la maison rouge, été 2005

On peut distinguer deux types d’installations : 
celles qui se présentent comme un arrangement d’éléments dont on fait le tour, descendantes de la sculpture.
celles à l’intérieur desquelles on circule et que l’on appellera immersives, descendantes du Merzbau de Kurt Schwitters.

Peinture

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Claude Rutault
DM 120 : Réplique aux trois monochromes de Rodchenko, avec table, 1985
réactualisation 2011 au Silo à Marines, collection privée
Photo : André Morin

Souvent enterrée, jamais déchue, la peinture demeure le medium-roi de l’expression plastique.
Vedette des salles de vente et des salons, toujours à la pointe des problématiques, la peinture se décline également dans des versions murales.

Performance

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Abraham Poincheval
Vigie, 2016
mât et plateforme. H : 20m, durée : cinq jours
édition 2016 des nuits Blanches, Paris

Empruntant une partie de son protocole aux arts de la scène, la performance introduit dans l’exposition une grammaire qui lui est étrangère puisqu’appartenant au spectacle (avec un début et une fin).
Si il arrive que le public applaudisse à la fin d’une performance, c’est rarement le cas devant un tableau (dont la fin est incertaine).
Le Happening se distingue de la performance en ce qu’il n’est pas reproductible.

Sculpture

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Willy Kopf
Gelber Kubo, 1990
bois aggloméré, Batilynx, 188 x 114 x 38 cm
Exposition personnelle, villa Arson, Nice

Pas toujours dépourvue de socle, la sculpture est un objet présenté dans un espace et qui invite à une circulation.
La sculpture joue forcément de la relation entre deux corps (le sien et celui du visiteur) dans un espace.
D’un point de vue artistique, s’agissant de l’installation des sculptures, la relation avec le sol est cruciale.
La réponse à la question de la présence ou non d’un socle est à trouver dans la relation souhaitée par l’artiste entre son œuvre et le réel.
La sculpture doit-elle être présentée de plein pied, sur le même sol que celui sur lequel circulent les visiteurs? Dans le même monde? 
Ou doit-elle être surélevée, distanciée, libérée des contraintes physiques pour être seulement un objet de contemplation?

Vidéo

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Le public

Sylvain Sorgato
Étude pour l’installation de Reflecting Pool par Bill Viola
Exposition : Narcisse, l’Image dans l’Onde
Fondation François Schneider, Wattwiller, 2014

Parce qu’elle présente une image animée déployée en séquences, la vidéo pose le même problème que la performance en introduisant sur le territoire de l’exposition des contingences qui lui sont étrangères.
Les oeuvres vidéo, comme celles informatiques, posent des problèmes particuliers en tant qu’elles sont soumises à la disponibilité et à l’obsolescence des équipements fournis par l’industrie de l’électro-ménager de masse.
En tant que sources rétro-éclairées, les écrans et les projections n’ont que rarement besoin des environnements blancs et lumineux qui sont traditionnellement ceux de l’exposition. Voire : ces dispositifs privilégient la pénombre et entretiennent donc nombre d’antinomies avec la peinture (par exemple).

III - Le public

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Il me semble que le public est devenu la grande vedette des expositions.
L’importance que l’on y accorde influe nettement sur le traitement fait aux œuvres. 
Les œuvres sont exposées pourvu que le public y puisse avoir accès dans les conditions requises par la préfecture.
Ces contraintes imposent des attentions particulières pour les techniciens de l’exposition.

Le public (dehors)

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File d’attente à l’entrée du Centre Georges Pompidou, Paris
source : Hurikat.com, service client et file d’attente

La popularité d’une exposition, traduite en volumes de fréquentation, est aujourd’hui la valeur qui légitime un événement artistique.
La fréquentation des expositions, y compris celle des foires, est en constante augmentation, tout comme le prix réclamé pour accéder aux expositions.
La quantité de public reçue chaque année est l’argument majeur des institutions à l’endroit de leurs tutelles pour soutenir le renouvellement des demandes de subventions.
Pour les établissements, privés comme publics, la billetterie est une source de trésorerie importante.
La visite des galeries, elle, demeure gratuite.

Communiquer

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Sylvain Sorgato
sans titre (Sandra Mulliez et Claudine Colin), 2016
photomontage, fichier jpeg, 2362 x 2362 pixels

La publicité pour les expositions fait l’objet d’engagements financiers importants de la part des sites d’expositions. 
Si la fréquentation des expositions est en constante augmentation, la corrélation entre cette augmentation et la publicité qui en est faite reste à démontrer.

La distance nécessaire (1/4)

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Anthony Gormley
Another Time VI
fonte d’acier, 191 x 59 x 36 cm
Jardin des tuileries, FIAC Hors les Murs 2011, prêt de la galerie Thaddaeus Ropac, Paris

L’augmentation de la fréquentation conduit au déploiement de dispositifs sécuritaires qui vont parfois à l’encontre des nécessités de l’œuvre.
L’augmentation de la quantité de public oblige les sites d’exposition à soumettre leurs dispositifs à une certain nombre de critères de sécurité.
Ces critères s’ajoutent aux requis qui réglementent l’accès du public à un événement quel qu’il soit.
Les lieux d’exposition sont qualifiés d’E.R.P. et soumis à une autorisation d’ouverture délivrée par la préfecture de police.

La distance nécessaire (2/4)

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Philippe-Alain Michaud et Alain Seban discutant de la nécessaire mise à distance
Exposition : Adel Abdessemed – Je suis innocent, Centre Georges Pompidou, Paris, du 3 octobre au 7 janvier 2013 
Source : Alain Seban – Facebook, septembre 2012

La prudence des institutions atteint parfois des sommets lorsque par exemple la question se pose de protéger le public qui pourrait se blesser au contact d’une sculpture.
Les dispositifs sécuritaires ne sont pas tous illégitimes mais contribuent à déresponsabiliser le public.
Ces mêmes dispositifs jouent un rôle important dans les conditions de présentation, et donc de réception, des œuvres. 
Ils sont à prendre comme un cadre venant s’ajouter au cadre, qui s’ajoute déjà à l’œuvre.

La distance nécessaire (3/4)

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Auguste Rodin : L’Homme qui Marche, bronze, 1907
- http://artsplastiques67.canalblog.com/albums/corps/photos/80745288-augusterodin_lhommequimarche_bronze_1907.html
- Musée Rodin, Paris 
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L%E2%80%99Homme_qui_marche_par_Auguste_Rodin,_Paris.jpg

L’Homme qui Marche, selon qu’il est présenté comme un document (photographique), ou en situation d’exposition.
La réalisation des dispositifs de soclage et de mise à distance sont la responsabilité du régisseur d’expositions. 
Succédant au soclage, l’introduction des mises à distance oblige à une certaine homogénéité dans leur traitement et introduit la figure du scénographe dans l’organigramme permettant la réalisation des expositions.
L’argument justifiant la mise à distance des œuvres consiste souvent à dire que cela interdit que l’on y touche.
Plus perfidement, on pourrait dire que cela permet d’assurer au visiteur qu’il y a là une œuvre plutôt qu’autre chose.

La distance nécessaire (4/4)

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Marta Gili
Commentaire de la section « Archéologie du Pouvoir » de l’exposition de la collection Helga de Alvear
Salon d’honneur du grand Palais, édition 2017 de Paris-Photo, novembre 2017

La publicité par voie de communiqués de presse à permis de produire une littérature souvent opaque, pourtant destinée à éclairer le public.
Ce type de notices, qui ont pour fond les surfaces de l’exposition, viennent habiller de façon quasi-systématique les cimaises laissées vacantes, et rappellent à des pratiques qui envisagent l’espace architectural comme une succession de plans plutôt qu’un volume.
Les textes présentés ainsi créent également des positions sur lesquelles le public stationne, ce qui peut poser des problèmes de circulation (il faut garder à l’esprit que le public est d’abord un fluide).

Le public (V.I.P.)

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Sylvain Sorgato
Photographe et son modèle, 2012
oeuvres de Heimo Zobernig sur le stand de la galerie Christian Nagel
soirée de vernissage de l’édition 2012 de la FIAC, Grand Palais, Paris

Le déplacement du statut des œuvres d’objets culturels vers des objets de luxe à modifié les comportements des visiteurs dans les expositions et les foires, et illustre la fonction et le rôle désormais attendu des œuvres d’art et de leur possession : l’œuvre est un marqueur social.

Le public (dedans)

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Sylvain Sorgato
Jeune fille visitant une exposition d’art contemporain, 2014
Christophe Berdaguer et Marie Péjus : E.17 Y.40 A.18 C.28 X.40 0.13,5 
Exposition : Inside, Palais de Tokyo, Paris, du 19 octobre au 10 janvier 2015

Circuler dans une exposition et le faire savoir sur les réseaux sociaux est un fait socialement valorisant.

Le public (access V.I.P.)

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Madelaine d’Angelo
co-fondatrice et  PdG d’Arthena
In : Rapport Artprice, le Marché de l’Art Contemporain 2017

Artprice: Comment décririez-vous la valeur ajoutée d’Arthena sur le Marché de l’Art?

Madelaine D’Angelo: Nous utilisons la science des données pour évaluer les opportunités d’investissement. 
En combinant notre modèle quantitatif à l’intelligence humaine dans l’analyse du Marché de l’Art, nous identifions les pièces à fort potentiel et à faible volatilité, capables d’offrir des rendements compétitifs à nos investisseurs.

Somme toute, nous étudions et évaluons nos produits de la même façon qu’un investisseur examine tout autre produit financier. 
Il se trouve juste que nos fonds visent l’Art.

L’art est susceptible de porter les valeurs néolibérales de croissance infinie, et se voit purgé de toute fonction symbolique ou culturelle.

Fin de parenthèse

In the room are twenty afrikan lightclothed/nacked people. 
We don´t need actors, we need supernumeraries, normal people. 

In your last mail you asked why there are this people. 
(…)
XXX can`t give you an intention why this people has to be in his room, because we choose them to find out why they are there. 

This work is in the tradition of the unamenable, unknown room. 
The work involves about the fears of the observer, his fear of the unknown, the unamenable, the foreign.

Gregor Schneider
extrait d’une note d’intentions, 2007

Je pense que le déplacement de l’activité artistique vers un spectacle de masse qui soutiendrait des enjeux individuels de développement social ne fait que produire des œuvres pauvres, déresponsabilisées, et clivantes socialement.

Kitsch (1/2)

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Jeff Koons
Sac à main Vuitton - Da Vinci
sac à main en toile et cuir imprimés

Peut être considérée comme kitsch toute forme produite par une classe sociale lorsqu’elle imite une forme produite par une autre classe sociale.
Le kitsch est d’autant plus visible que les moyens de reproduction sont grossiers ou que les symboles véhiculés par les formes appauvris.
Néanmoins : c’est pour les industries de masse un argument commercial majeur, celui qui prétend mettre le luxe à la portée de toutes les bourses. 
Argument dont l’écho est perceptible dans une proposition telle que : l’art pour tous ou l’art à portée de toutes les bourses.

Kitsch (2/2)

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Jeff Koons
Mickaël Jackson and Bubbles, 1988
porcelaine dorée, 106 x 179 x 82 cm, édition de trois exemplaires  et une épreuve d'artiste

Nota Bene : le mécanisme qui permet la réalisation du kitsch ne fonctionne plus seulement comme une aspiration populaire à accéder à des formes sophistiquées. 
Le Pop-Art a permis que des formes puissent être empruntées à la culture populaire pour être resservies à l’élite sous une forme qui lui convienne : le tableau ou l’argenterie.

Avant-garde (1/3)

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Emmanuel Perrotin posant pour la presse devant un exemplaire du Comedian de Maurizio Cattelan, 2019
porcelaine dorée, 106 x 179 x 82 cm, édition de trois exemplaires  et une épreuve d'artiste

L’avant-garde est le dispositif par lequel l’élite se défend du kitsch.
En produisant des formes sophistiquées fondées sur des concepts élaborés; l’élite donne du fil à retordre aux classes populaires qui voudraient les imiter.
Le travail des artistes d’avant-garde consiste à assurer au service de l’élite la production de ces formes sophistiquées.
L’indice de l’existence de cette qualité est à entendre lorsque le public (c’est-à-dire le peuple) ne trouve pas son compte dans la forme proposée et s’avoue vaincu en déclarant ne pas comprendre, ne pas aimer, ne pas trouver cela beau, ou ne pas trouver cela artistique.

Avant-garde (2/3)

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Elias Kurdy

DNSEP option art 2019 avec les félicitations

ESAD Marseille-Méditérannée

Les écoles d’art fournissent quantité d’avant-gardistes, généralement puisés dans les classes moyennes.
Ces établissements, publics, produisent un corps savant, usant de codifications spécifiques, disposé à produire des formes isolées de la culture populaire et fondées sur des concepts possiblement récents.
Ces académies de l’avant-garde sont animées par des artistes adoubés par une élite institutionnelle, elle-même nommée par des pouvoirs dont la temporalité excède rarement le quinquennat.
Ces artistes y trouvent un certain confort et l’autorité suffisante pour désigner celles et ceux à qui il sera donné d’appartenir à la prochaine avant-garde.

Avant-garde (3/3)

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Kaws

Companion, 2019

structure gonflable, 39m, installation à Hong-Kong

Parce qu’elle est à trouver dans des réussites financières récentes, l’élite n’est plus aujourd’hui capable de soutenir intellectuellement les concepts sophistiqués qui lui sont nécessaires pour se défendre du kitsch.
L’élite, qui vit sur des concepts sociaux et politiques dont on perçoit  l’obsolescence (le narcissisme, la prédation) et qui demeure fermée aux concepts novateurs (l’horizontalité, le sevrage), voire révolutionnaires (la ressource, le partage), prive l’avant-garde du soutien dont elle a besoin.
L’avant-garde, si elle existe encore, est désormais orpheline.

 

(fin de la première partie)

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